Si l’approche Lean Startup est moins connue au Québec auprès des entreprises en démarrage, elle l’est encore moins dans le secteur municipal. Bien qu’il y en ait certainement au Canada, aucun média ne rapporte de projets municipaux utilisant cette approche Lean Startup. L’initiative de données ouvertes de la ville de Montréal semble avoir emprunté certains aspects du Lean Startup à ses débuts en 2011 mais le projet semble être au ralenti depuis (1).
On doit regarder à l’extérieur pour trouver des exemples concrets d’applications de l’approche Lean Startup à des projets municipaux. On retrouve de exemples en Suède, en France ainsi que plusieurs aux États-Unis. Pour ce billet nous examinerons le projet de refonte du site web de la ville de Palo Alto en Californie, piloté son CIO, Jonathan Reichental. M. Reicheenal a également géré de nombreux projets reliés à la mise en place d’une plateforme de données ouvertes pour la ville en utilisant l’approche Lean Startup.
Reichental est entré au service de la municipalité de Palo Alto à la fin de 2010. Son premier projet était de refondre le site web de la ville mis en ligne en 2008. Le site web n’atteignait que peu de ses objectifs initiaux et était vertement critiqué par les citoyens. Ces derniers, ainsi que les médias locaux, sont très volubiles sur l’administration municipale et, en raison de leur proximité à la vallée du silicone, ont une connaissance supérieure à la moyenne des technologies web. Ces critiques déteignaient de plus en plus sur l’image de la ville. Il y avait donc urgence à redéployer un site mieux adapté aux besoins et attentes des citoyens.
M. Reichental a donc proposé d’appliquer l’approche Lean Startup, qu’il avait utilisé précédemment dans le secteur privé. Cette approche lui permettait de livrer une nouvelle version du site rapidement tout en s’assurant que les besoins des citoyens étaient, non seulement pris en compte, mais la base sur laquelle tous changements seraient fait.
L’équipe de fonctionnaires municipaux en place était loin d’être convaincue qu’une telle approche fonctionnerait dans leur environnement. Ils craignaient que les citoyens et médias locaux critiquent les versions préliminaires du site et détractent le projet avant même qu’il puisse être complété. Ces inquiétudes étaient loin d’être frivoles puisqu’on observe régulièrement de tels scénarios dans le secteur privé.
La façon éprouvée de réduire ce risque s’est avérée être une communication transparente et soutenue du processus, et, de l’état d’avancement du projet. L’équipe de communications municipale a donc été intégrée dès le départ et un site web a été créé pour le projet. Ce site permettait non seulement de regrouper toutes les informations officielles sur le projet au même endroit, mais il permettait également de recruter des citoyens volontaires pour tester les diverses fonctionnalités déployées et l’ergonomie des nouvelles pages. Les citoyens y avaient également un forum où ils pouvaient échanger entre eux et avec les responsables du projet. Ils pouvaient également s’abonner à un compte Twitter qui les informait de tout ajout sur le site.
La municipalité a donc pu, en à peine 3 mois, mettre en ligne une première version améliorée de son site web. Plusieurs itérations ont suivi et la ville effectue maintenant des modifications, surtout mineures, à son site de façon régulière plutôt que de grandes refontes périodiques. La majorité des modifications sont faites suite à des réactions de citoyens sur le forum dédié au site web de la ville.
Les retombées positives non-anticipées
De nombreuses retombées positives importantes de l’utilisation de l’approche Lean Startup n’avaient pas été anticipées par Palo Alto.
La première est que les médias ont mis beaucoup d’emphase sur la transparence de l’administration dans la gestion de ce projet. Ils y voyaient une amorce d’ouverture pratique, plutôt qu’au niveau du discours, de l’administration.
Toute critique au design du site, ayant généralement déjà été adressée dans le forum, avait une réponse plausible. Les journalistes avaient donc peine à présenter les lacunes sous un angle uniquement négatif sans se faire rebiffer dans les médias sociaux par les citoyens impliqués.
La presse s’est donc mise à rapporter principalement les ajouts et améliorations au site de la ville plutôt que de mettre en lumière ses lacunes.
La seconde retombée positive est que le gabarit et les applications développés pour fin de communications et de tests pour le projet du site web ont pu être réutilisés pour de nombreux autres projets où la municipalité désirait impliquer les citoyens. Cela a grandement accéléré le déploiement de projets subséquents.
Une autre retombée positive est que les citoyens les plus critiques face au site web ont été, en majeur partie, les plus impliqués dans le forum et les tests. Leurs implication a permis de trouver des solutions souvent moins coûteuses et plus efficaces. De plus, les critiques non fondées étaient mis en lumière dans le forum. Ce qui avait généralement pour effet de calmer les ardeurs de leur auteur.
Les responsables des communications de Palo Alto ont remarqué qu’ils ont reçu moins de demandes d’informations sur le projet et qu’il y avait significativement moins d’erreurs dans les médias sur les informations s’y rapportant. Les journalistes n’avaient qu’à se rendre sur le site web du projet pour y trouver l’information juste. Si une mauvaise information circulait, un citoyen informé s’empressait de référé l’auteur au site pour corriger le tir.
Les fonctionnaires de Palo Alto impliqués dans le projet ont rapporté avoir une meilleure compréhension des besoins des citoyens et ressentir également un rapprochement tangible entre la population et l’administration.
Finalement, sur le plan politique, l’administration en place a bénéficié de nombreuses gourdes commises par le parti d’opposition, qui semble-t-il ne prenait pas la peine de suivre les développements sur le site. Ces gourdes, étant facilement identifiables par les citoyens en raison des informations sur le site du projet, ont contribué à ternir l’image du parti de l’opposition. L’histoire ne relate pas les résultats des élections subséquentes.
Les difficultés de la méthodologie Lean Startup
L’approche Lean Startup comporte de nombreux avantages mais rien n’est parfait. Son implantation, dans toute organisation, vient avec certains obstacles à franchir. Ces obstacles, comme l’expérience de nombreuses municipalités le démontre, ne sont pas insurmontables mais, ils doivent être pris en compte avant le départ de la course au risque de s’y casser le nez.
Les méthodes de gestion de projet des employés de Palo Alto ont dû changer de façon drastique. Non seulement la volonté de partager l’information devait-elle dorénavant exister mais des mécanismes ont dû être mis en place pour accommoder cette nouvelle exigence. Il en est de même pour faciliter la collaboration des effectifs des divers départements. L’appui, le renforcement, l’influence et la motivation soutenu du CIO, M. Reichental, ont été déterminants dans le succès de ce projet.
Le site web du projet étant le hub des communications, une attention particulière devait être portée à l’exactitude des données qui y étaient déposées. Toute erreur devait être signalée aux usagers et corrigée rapidement sans quoi les efforts de communication décuplaient.
Aucune donnée comparative n’a été compilée quant aux coûts des projets municipaux utilisant l’approche Lean Startup vs une approche traditionnelle. Les experts qui ont observés et participés à divers projets s’entendent par contre pour dire que l’approche Lean Startup n’est définitivement pas moins coûteuse et est probablement plus coûteuse que l’approche traditionnelle pour le premier projet. Les gains se font à l’utilisation répétée de l’approche et en tenant compte du gaspillage de ressources évité.
L’approche Lean Startup demande un effort de communication significativement plus grand qu’une approche traditionnelle où on informe la population uniquement lorsque le projet est terminé.
L’approche Lean Startup dans le secteur municipal requiert un très grand niveau de transparence publique. Ce ne sont donc pas tous les projets qui peuvent s’y prêter. Non seulement doit-on exclure les projets où la confidentialité est un élément important mais également les projets demandant un niveau de connaissance élevé de la part des citoyens. Si les éléments d’un projet ne peuvent être communiqué de façon à ce que le citoyen moyen puisse comprendre il vaut mieux utiliser une forme adaptée du Lean Startup où les informations ne seront communiqués qu’à un groupe limité.
L’approche Lean Startup est toute indiquée dans les municipalités qui désirent minimiser le risque d’échec de leurs projets et accroître la transparence de leur administration.
(1) Une annonce doit être faite sous peu à ce sujet par l’administration Coderre.